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Le 20 décembre, Kersten amena sa famille à Hartzwalde.
En passant par Berlin, il avait téléphoné à Himmler, mais ne l’avait pas vu. Celui-ci n’avait pas besoin de soins.
À Noël, au Nouvel An, la guerre contre les Alliés durait toujours, malgré les prédictions du Reichsführer. Et une autre s’y était ajoutée, qui touchait Kersten au plus profond : la Russie avait attaqué la Finlande.
Kersten avait fait tout ce qui était humainement possible afin d’aider son pays dans une lutte fantastiquement inégale. En Hollande, il avait obtenu pour lui de l’argent. En Angleterre, des fourrures. En France, des médicaments et des ambulances. En Italie, grâce au comte Ciano, son ancien patient, des armes et des avions. Mais, de l’Allemagne, il ne pouvait rien tirer. L’accord Hitler-Staline, signé quelques jours avant le commencement de la guerre mondiale, imposait au IIIe Reich une neutralité bienveillante à l’égard de la Russie.
Arrivé à Hartzwalde, le docteur s’efforça d’oublier tout motif de trouble et d’angoisse. Son entraînement à la concentration spirituelle l’y aida beaucoup.
En outre, il y avait le domaine lui-même. Sur cette large terre peuplée de bois et traversée d’eaux vives, la coquille de protection se reformait toute seule, aisément. Quelle sécurité, quelle tranquillité dans ces paysages, dans cette maison, construite, aménagée par Kersten selon ses goûts ! Quel plaisir inépuisable de se promener lentement dans les allées, dans les clairières, appuyé sur une grosse canne à lourd pommeau, ou de rouler à travers les arbres centenaires dans une petite charrette à deux roues attelée d’un cheval paisible. Comme on était bien dans Hartzwalde pour méditer, rêver, manger, dormir.
Quant à la femme du docteur, ce domaine était également l’endroit qu’elle préférait au monde. Elle veillait avec passion sur l’étable, la basse-cour, et, cavalière consommée, montait les pur-sang de l’écurie.
Enfin, depuis l’automne, Hartzwalde abritait l’hôte le plus cher au cœur de Kersten : son père.
L’une des clauses du traité signé entre Hitler et Staline avait livré à la Russie les Pays Baltes. Comme l’avaient fait en 1914 les autorités du Tzar, les Soviets déportèrent en masse les habitants vers le Turkestan et la Sibérie. Il fut permis, toutefois, à ceux qui étaient allemands par naissance, de regagner leur pays d’origine. Frédéric Kersten s’était réfugié dans la propriété de son fils.
La nouvelle épreuve n’avait atteint ni la santé, ni la bonne humeur, ni la puissance de travail de cet étonnant vieillard trapu et noueux comme un paysan indestructible. Enlevé à son foyer au début de la première guerre mondiale, chassé au début de la seconde, et, cette fois, sans espoir de retour, il aimait à répéter :
— Je n’étais déjà plus un jeune homme quand, avant ces deux guerres-là, j’ai vu la guerre russo-japonaise. J’ai appris une chose : les guerres passent, la terre reste…
Mais le temps des fêtes de Noël s’acheva. Il fallut sortir de la coquille.